Défendre une agriculture sans pesticides

7 idées reçues sur l’avenir de l’agriculture

Publié le 03 mars 2022 , mis à jour le 17 novembre 2023

Faudra-t-il produire plus pour nourrir les 9,5 milliards d’habitants sur terre en 2050 ? Une agriculture sans pesticides pourrait-elle relever le défi ? Est-ce vraiment possible de réduire notre consommation de viande sans mettre en péril les éleveurs français ? Alors qu’en France l’agriculture est le deuxième secteur le plus émetteur, que la biodiversité s’effondre et que nos agriculteurs ne parviennent plus à vivre décemment de leur travail, nous démêlons le vrai du faux sur l’avenir de notre modèle agricole et alimentaire avec Marc Dufumier, agronome, enseignant-chercheur à AgroParis Tech et membre du Conseil scientifique de la FNH.

Idée reçue n°1- Nourrir le monde sans pesticides de synthèse c’est impossible !

Faux. Les problèmes de la faim dans le monde n’ont rien à voir avec un manque de nourriture. Il est tout à fait possible de nourrir la planète entière sans pesticides puisqu’on produit déjà suffisamment de nourriture. Le vrai problème réside dans la répartition des revenus pour avoir accès à l’alimentation.

Quelques chiffres éclairants :

  • Pour nourrir correctement l’humanité, il faut produire (d’un point de vue calorique) 200 kg de céréales par habitant et par an. Or, on en produit actuellement 330 kg/habitant/an !
  • Pourtant, 800 millions de gens souffrent de la faim dans le monde et 1 milliard d’entre eux sont carencés. Pourquoi ? C’est parce que trop de personnes ne parviennent pas acheter la nourriture disponible.

Les cultures spécialisées des pays en développement (café, cacao, banane, soja…), au détriment des cultures vivrières, ont non seulement rendu maints pays dépendants de l’occident pour leur alimentation, mais elles ne leur permettent pas non plus de dégager des revenus suffisants pour acheter de quoi se nourrir.

Les pays riches, quant à eux, captent tous les surplus, nourrissent des animaux en surnombre, (à noter qu’il faut entre 3 et 10 calories végétales pour produire une calorie animale), consomment des agrocarburants et gaspillent à tout va, tout en détruisant la planète avec un modèle agricole très énergivore, polluant et qui, s’il a permis d’accroître la production pour répondre à la pénurie d’après-guerre, est aujourd’hui obsolète, s’insurge Marc Dufumier.

Idée reçue n°2 - Les alternatives aux pesticides de synthèse ne sont pas efficaces contre les maladies et les ravageurs

Faux. La réponse tient en un mot : l’agroécologie. Là où l’agriculture conventionnelle spécialisée a uniformisé, simplifié et pour finir appauvri et fragilisé les écosystèmes, l’agroécologie permet de redynamiser les territoires : on n’éradique plus les adventices (mauvaises herbes), ravageurs et autres agents pathogènes, mais on vit avec et on minore leurs prolifération et les dommages. Comment ? En conservant une grande biodiversité végétale et animale, sauvage et domestique, et en jouant des interactions que les uns et les autres entretiennent dans ces riches écosystèmes. C’est en maintenant une dynamique de la diversité dans les agrosystèmes, et bien sûr sans pesticides, qu’un équilibre se crée et que l’on réduit les risques de virus, maladies et autres ravageurs.

Idée reçue n°3 - L’agroécologie, c’est pas sérieux !

Faux ! L’agroécologie a pour objectif de tirer le meilleur parti d’un milieu pour accroître les rendements à l’hectare sans avoir à étendre les surfaces cultivées (autrement dit déforester, assécher des zones humides…). C’est une discipline scientifique éminemment rigoureuse et novatrice, qui est en mesure d’aider les pays du sud à retrouver leur autonomie alimentaire, d’autant plus qu’ils bénéficient souvent de conditions très favorables pour produire intensivement à l’hectare : la lumière du soleil, ressource renouvelable et gratuite et le carbone du gaz carbonique de l’atmosphère pour fabriquer les glucides et les lipides de l’alimentation, via la photosynthèse. L’azote de l’air que des légumineuses peuvent intercepter pour produire des protéines végétales et dont elles vont, par voie biologique, fertiliser le sol et profiter aux céréales comme le mil ou le sorgho qui ne captent pas l’azote de l’air.

L’important est de bien gérer l’usage des eaux de pluie, en mettant des obstacles à son ruissellement et en favorisant son infiltration dans les sols. Pour que ceux-ci soient suffisamment poreux, on peut compter sur les vers de terre, les termites et la biologie des sols. Des matières organiques (fumier) grâce à l’association étroite de l’agriculture élevage, des arbres dont les racines profondes sont capables d’extraire du sous-sol des éléments minéraux issus de l’altération des roches mères et de les restituer dans les couches de surface quand les feuilles mortes se décomposeront au sol. Des arbres et arbustes encore pour héberger toute une petite faune d’oiseaux, mammifères et autres auxiliaires participant à la régulation des insectes ravageurs et des maladies.

L’agroécologie montre ainsi qu’en tirant profit du vivant, avec une utilisation optimisée des ressources naturelles, il est possible de créer et de maintenir une couverture végétale dense et permanente et d’associer étroitement les cycles du carbone et de l’azote afin d’optimiser les rendements sur une surface réduite.

Idée reçue n°4 : L'agriculture industrielle vend des produits « bon marché »

Vrai sur le court terme, faux sur le moyen terme. Le seul moment où le consommateur peut prétendre acheter « bon marché » c’est au supermarché en remplissant son caddie de produits à bas prix, mais le passage « à la caisse » ne s’arrête pas là. Il faut pour rétablir le coût réel d’une alimentation issue de l’agriculture industrielle y ajouter directement tous les coûts cachés : l’argent de nos impôts dépensé pour dépolluer l’eau des intrants chimiques, dont l’atrazine par exemple, lutter contre la prolifération des algues vertes due à l’épandage du lisier provenant de l’élevage intensif d’animaux hors sol, assumer les coûts sur la santé induits par la multiplication des cancers, parkinson, obésité et autres perturbateurs endocriniens, sans oublier bien sûr l’altération en général des paysages en terme de bien-être ou encore les impacts à durée indéterminée sur le climat et la biodiversité.

Idée reçue n°5 : L’agriculture bio n’est pas rentable pour l’agriculteur

Faux. Certes l’agriculture biologique a un coût supérieur en main d’œuvre car elle est plus soignée, plus artisanale, plus complexe. Exigeante en temps, elle demande un savoir faire et des connaissances agronomiques, mais n’est-ce-pas les raisons qui justement motivent ceux qui ont envie de se réapproprier leur métier et d’être fiers de produire une alimentation saine pour la santé des hommes et respectueux de l’environnement.

Par ailleurs, rappelons que les pays riches, comme la France, peuvent se permettre de diminuer leurs rendements pour produire une nourriture de meilleure qualité. En économisant sur les coûts en engrais, en pesticides et en énergie fossile (carburants), cultiver en bio permet de gagner en valeur ajoutée à l’hectare. Par ailleurs, il serait bon de rappeler que les agriculteurs en bio contribuent à la réduction de l’effet de serre par la séquestration du carbone, qu’ils replantent des haies, dépolluent les sols et en restaurent la fertilité, favorisant le retour de la biodiversité, et qu’ils devraient, pour ces services rendus à l’environnement, et donc d’intérêt général pour la société toute entière, être rémunérés par l’argent des contribuables. Un levier financier pour compenser le manque à gagner induit par le temps de conversion et la certification. Une rémunération qui récompense leur savoir-faire et reconnaît leur participation à la transition agricole et alimentaire.

Idée reçue n°6 : Manger moins de viande c’est condamner les éleveurs français

Faux. Là encore il faut remettre en perspective les conséquences directes de la surconsommation de viande sur la santé humaine et sur l’environnement et les différents modes d’élevage. Là où l’élevage intensif a des effets délétères à tous points de vue sur la santé, sur l’environnement (pollution aux nitrates responsables de la prolifération d’algues vertes sur le littoral breton, émissions de méthane, un puissant gaz à effet de serre, déforestation importée à cause du soja dont sont nourris vaches, cochons et volaille, et sans oublier le bien-être animal), les exploitations avec un cheptel réduit, élevé à l’herbe, se révèlent au contraire bénéfiques au milieu, puisque les sols et particulièrement les prairies comptent parmi les principaux milieux de stockage naturels de carbone et participent à la biodiversité et au maintien de paysages ouverts.

Idée reçue n°7 : Plus aucun agriculteur n’a envie de s’installer !

Faux. Il y a une appétence pour le métier d’agriculteur et agricultrice. Pour preuve, près d’un tiers de nouveaux installés ne le font pas dans le cadre familial. Mais on ne peut parler d’agriculture aujourd’hui sans mentionner les difficultés liées au métier voire l’immense détresse de certains agriculteurs. C’est en effet une profession qui compte parmi les plus importants taux de suicide (perte de sens, surendettement, pression pour produire toujours davantage à des prix toujours plus tirés vers le bas).

La question de la transmission des terres est un vrai enjeu : 45% des agriculteurs partiront à la retraite dans les 6 ans. Selon le dernier rapport de Terres de Lien, 5 millions d’hectares, soit 20% de la surface agricole française vont changer de main d’ici 2030.

Si les débouchés de l’agriculture conventionnelle et la distorsion de concurrence (induite notamment par les traités de libre-échange) découragent certains de reprendre l’exploitation familiale, c’est surtout le difficile accès aux terrains qui est en cause.

Il existe bel et bien des candidats souhaitant reprendre des terres pour développer des formes d’agriculture alternatives (maraîchage en circuit court, transformation fromagère et appellations protégées…), mais c’est un parcours du combattant. La concentration des terres avec des fermes de plus en plus grandes tournées vers une production de masse se poursuit et les nouveaux agriculteurs ne disposant pas d’un capital suffisant ne peuvent prétendre rivaliser avec ces grandes unités de production lorsqu’il s’agit de se positionner pour reprendre les terres de ceux qui partent à la retraite.

Le problème est politique et il appelle une réponse politique : aider les jeunes et moins jeunes à s’installer c’est mettre avant tout mettre fin à la spéculation foncière et redonner du pouvoir aux SAFER (société d’aménagement foncier et d’établissement rural). Réorienter les aides de la politique agricole commune et notamment cesser de conditionner leur montant à l’hectare.

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