Projets soutenus

Comment préserver les populations de chimpanzés en Ouganda ?

Publié le 01 septembre 2021

Dans un contexte d’érosion de la biodiversité à l’échelle planétaire, quel avenir pour les animaux dont la réduction de leur habitat les met en concurrence directe avec l’être humain ? A l’occasion de la participation de la Fondation au Congrès mondial de la nature à Marseille et alors que les populations des grands singes en Afrique et en Asie du Sud Est ont diminué de 70% en 40 ans, zoom sur Sabrina Krief, primatologue reconnue et soutenue par la FNH depuis 2004, pour son action en faveur des grands singes.

En l’espace d’un siècle, la conquête de l’homme s’est étendue à tous les milieux terrestres, maritimes et aériens… L’Afrique n’est plus ce continent où prédominent de vastes étendues sauvages au sein de laquelle la faune puisse évoluer librement sur des aires non protégées. Dans la forêt tropicale Ougandaise, le parc national de Kibale abrite encore une exceptionnelle biodiversité, dont une population de chimpanzés constituée de groupes bien distincts. Sabrina Krief étudie depuis plus de 20 ans leurs interactions avec leur environnement et les autres espèces

Sabrina Krief… en bref

Cette éminente primatologue, vétérinaire de formation et professeure au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) s’est, durant sa thèse vétérinaire, intéressée à la réhabilitation de chimpanzés orphelins en milieu naturel au Congo, puis a approfondi le sujet avec une thèse universitaire en phytochimie (chimie des végétaux) et en écologie portant sur l’automédication chez les chimpanzés sauvages en Ouganda. Comment, en effet des singes orphelins relâchés en milieu sauvage pouvaient-ils se nourrir sans s’intoxiquer… ?

Avec son mari, Jean Michel Krief, photographe, ils ont, en 2006, fondé l’association « projet pour la conservation des grands singes » qui assure, entre autres missions de préservation et de sensibilisation, la gestion de la station et de l’équipe ougandaise de Sebitoli, située au Nord du parc national de Kibale.

 

Sabrina Krief primatologue
© Jean Michel Krief

Sur la piste des chimpanzés du parc de Kibale

La station est constituée d’un centre de sensibilisation pour les enfants est aussi un lieu d’hébergement pour les assistants. L’équipe compte environ 25 ougandais qui assurent les patrouilles anti-braconnage, mènent des actions de sensibilisation, entretiennent les sentiers forestiers et, bien sûr, observent, étudient et suivent chaque jour sur le terrain les chimpanzés sauvages.

Avant l’aube, les pisteurs progressent à la lampe frontale entre les marécages et la forêt épaisse à une altitude comprise entre 1 400 et 1 600 mètres, cherchant à travers la végétation dense et serrée les nids dans lesquels les chimpanzés passent la nuit, pour pouvoir les suivre dès leur réveil, quand le soleil se lève. Nomades, ces derniers changent en effet chaque soir de site pour dormir...

Pour comprendre les enjeux et appréhender les solutions auxquelles mènent les travaux de recherche de Sabrina Krief, on s’aventure avec elle au cœur de la forêt ougandaise depuis le centre de Sebitoli devenu, depuis toutes ces années, le bastion de la préservation de la faune sauvage du parc national de Kibale. Dans ses pas, on découvre comment, grâce à l’implication de structures ougandaises et de plusieurs ONG (dont la FNH dans le cadre du projet Rajako), il est encore possible d’agir pour enrayer le déclin de la population des chimpanzés, animaux avec lesquels nous partageons 99% des gènes…

© Jean Michel Krief

Les principales menaces pour les chimpanzés et autres animaux sauvages

Liée en majeure partie à l’agriculture et aux infrastructures humaines (routes, plantations et usines de thé, clôtures…) la disparition ou la fragmentation de leur habitat reste la principale menace pour la survie des espèces protégées comme les grands singes et les éléphants, puisqu’en se rapprochant, la faune sauvage et l’homme se retrouvent en concurrence sur les ressources alimentaires. De fait, en lisière des zones agricoles, la cohabitation entre les animaux sauvages et les populations de villageois est difficile, les primates et les éléphants étant bien entendu attirés par les cultures de maïs, de canne à sucre et les jardins vivriers voisins qu’ils viennent visiter, surtout la nuit.

Par ailleurs, les multiples intrants chimiques qu’utilisent les paysans polluent depuis des années les sols et l’eau et sont la cause très vraisemblablement des déformations faciales et des malformations diverses observées sur plus d’un quart de la communauté de chimpanzés.

À cela s’ajoute la quasi-certitude de l’influence des perturbateurs endocriniens de plusieurs substances extrêmement toxiques pendant la gestation des femelles dont le cycle de reproduction est qui plus est, très perturbé. De nombreuses analyses ont non seulement démontré la présence de puissants pesticides comme le DDT, le DDE mais aussi de l’agent orange (ce puissant défoliant utilisé pendant la guerre du Vietnam) utilisé lors de l’exploitation forestière dans les années 70 et directement injecté dans le tronc des arbres qui ne les intéressaient pas : des ficus dont les chimpanzés mangent les figues, les feuilles et l’écorce et dont on sait malheureusement les effets sur plusieurs générations même chez les humains.

L’autre grande menace provient des pièges utilisés par les braconniers pour s’approvisionner en viande de brousse : à savoir que 30% des chimpanzés de Sebitoli ont des blessures ou des amputations dues aux collets.

Comment agir sur place ?

Parce que les communautés locales doivent vivre en harmonie avec la faune il faut trouver des solutions pour maintenir les revenus agricoles des paysans. L’association « Projet pour la conservation des grands singes » préconise ainsi d’agir à tous les échelons :

Désamorcer les conflits entre les fermiers et la faune sauvage

En amont, des campagnes de sensibilisation pour les villageois et les enfants sont menées via l’organisation de rencontres avec les équipes du centre aussi bien à la station, que dans les communes locales et des animations dans les écoles. Pendant la pandémie, les actions ont pu être poursuivies sur les ondes locales de radio. Dans un rôle de médiateur, Sabrina forme aussi des étudiants pour, qu’à leur tour, ils poursuivent ces enseignements. Pour exemple, Chloé Couturier, l'étudiante actuellement en thèse avec elle (co-encadrée et financée en partie par la FNH) travaille activement sur le conflit entre les villageois et les chimpanzés et les solutions pour rétablir l'harmonie... 

Faire des propositions de terrain et travailler en concertation avec la population locale

Au niveau agricole, comme mettre en place des projets de culture bio afin de ne plus utiliser d’intrants chimiques, tout en développant une filière de commerce équitable assurant un revenu viable pour les paysans. Mais aussi orienter au maximum la production vers des cultures moins attractives que le maïs ou la canne à sucre dont raffolent les chimpanzés. Actuellement à l’étude, le projet porté par la FNH et PCGS concernant une filière de thé noir bio (thé noir orthodoxe) et le développement de petites unités de séchage. Plusieurs sociétés françaises approchées, Léa Nature et les Jardins de Gaia, ont ainsi manifesté leur intérêt pour commercialiser le thé produit à Sebitoli par les villageois et soutiennent déjà le projet.

Pour limiter également les incursions des éléphants (potentiellement dramatiques en cas de confrontation directe avec l’homme), installer autour des cultures des câbles auxquels sont suspendues des ruches dont les abeilles, quand les éléphants bousculent les essaims en cherchant à pénétrer l’enceinte, se mettent à les attaquer. En plus de faire fuir les pachydermes, la récolte de miel représente une source de revenus complémentaire pour les villageois.

Des patrouilles anti-braconnage. Financer les patrouilles de retraits de pièges est essentiel au regard des chiffres avancés par l’équipe de l’association : plus de 1100 pièges désactivés depuis 2015 avec une baisse significative du nombre de pièges relevés en 2018 et 2019, mais une nette hausse à nouveau en 2020 suite à la pandémie : + 75% de pièges trouvés. De même, la coupe d’arbres, à la même période, a été multiplié par 6 pour le Prunus africana et par 3 pour le poivre sauvage.
Enfin, des travaux d’aménagement et rénovation de la grande route traversant le territoire des chimpanzés dans le parc ont été conduits pour réduire les risques pour la faune ainsi que des opérations de nettoyage d’emballages plastique (bouteilles d’eau et de soda principalement !).

Travailler avec les locaux pour réduire le braconnage. Pour que les ougandais riverains du parc s’investissent dans la conservation des grands singes, ils doivent y trouver un intérêt pour compenser les efforts consentis pour adopter de nouveaux comportements. L’équipe du centre a pour objectif que les écoles alentours réduisent les frais de scolarité pour les enfants des braconniers reconvertis dans la lutte contre le braconnage et bien sûr Sabrina cherche à créer un maximum d’emplois pour les ougandais dans le parc.

Coordonner biodiversité et sécurité alimentaire. Depuis la fondation en 2006 de son association, Sabrina Krief n’a jamais perdu de vue que, sur un même territoire, on ne peut engager une lutte contre l’érosion de la biodiversité sans envisager la manière dont chaque mesure de conservation modifie les activités et impacte la vie des villageois. Le Sebitoli Chimpanzee Project, l’antenne de PCGS en Ouganda, s’articule autour d’un vaste programme « Forêt-Faune-Populations en Ouganda » mené conjointement avec le Muséum national d’Histoire naturelle et d’autres partenaires dont la FNH. Il mobilise autant les acteurs locaux sur le terrain pour la recherche, la sensibilisation et la coordination des actions visant à préserver la biodiversité tout en réduisant la pauvreté et l’insécurité alimentaire que ses partenaires en France.

© Jean Michel Krief

Comment agir depuis la France ?

Notre petit-déjeuner peut aider à protéger les chimpanzés !

Il faut avant tout sauver la forêt et cesser ou au moins limiter au maximum de consommer des produits directement issus de la déforestation importée : il existe plusieurs alternatives aux produits exotiques et, pour ne pas pénaliser les agriculteurs, il faut au contraire encourager les filières bio et le commerce équitable, afin de les aider à lutter contre la monoculture et gagner un revenu décent !

En quoi consiste un petit déjeuner sain pour nous et salvateur pour les grands singes des forêts ? Voici quelques exemples :

  • Pour le jus de fruits : plutôt qu’un jus d’ananas ou de fruits exotiques, pourquoi ne pas choisir un bon jus de pomme local ?
  • Pour le café : la chicorée issue de racines d’une plante cultivée dans le Nord de la France, et, moins connu, le café d’orge français.
  • Pour le thé : entre les classiques tisanes de tilleul, verveine, camomille ou menthe et toutes les infusions de plantes, on a le choix.
  • Pour le chocolat : autant se faire une raison, il est difficilement remplaçable ! Mais on peut essayer de faire l’impasse sur les poudres cacaotées et garder le plaisir d’un chocolat de dégustation bio et équitable plus épisodiquement. En tous cas, en cas de craquage sur les pâtes à tartiner, on achète « sans huile de palme ». Quant au pouvoir sucrant du miel, excellent pour la santé, il remplace n’importe quel sucre de canne, sirop d’agave et autre produit raffiné.
  • Pour concocter un muesli maison aux fruits secs : on favorise les noix, noisettes et amandes poussant en Europe plutôt que les noix de macadamia, cajou, cacahuètes et on remplace les bananes séchées, papayes, noix de coco et autres purs produits de la déforestation par des fruits poussant sous nos latitudes : abricots, figues et pruneaux.

Faire de dons et même courir !

Il est possible de soutenir PCGS et aider à la préservation des chimpanzés en réalisant un don sur le site HelloAsso.  

Et si vous aimez la course, pensez à vous inscrire à la prochaine édition « I run for chimps », une course solidaire de 10 km organisée au bois de Vincennes. En 2021, elle a rassemblé 260 coureurs solidaires qui, en France et en Afrique, ont porté pendant une semaine un t-shirt « I run for chimps » et posté sur les réseaux sociaux leurs photos permettant de sensibiliser amis et amis d’amis à la préservation des chimpanzés.

© Jean Michel Krief

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Pour approfondir le sujet

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