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Élevage et consommation de viande : la nécessité de concilier le « moins et mieux »

Publié le 26 mars 2021 , mis à jour le 02 mai 2023

Comme pour l’ensemble de l’agriculture, la société et la science attendent que l’élevage évolue pour réduire son impact sur le changement climatique, contribuer à la préservation de la biodiversité et garantir le bien-être animal. Côté consommateur, les protéines animales, notamment la viande, occupent encore une place importante dans les assiettes, malgré l’évolution des messages de santé publique. Pourtant, pour tendre vers un modèle agricole et alimentaire plus sain et plus durable, il est nécessaire de réduire drastiquement la part qu’on leur accorde. Pour la FNH, cela passe par un objectif : baisser la production et la consommation de produits animaux d’au moins 50 % d’ici 2050. Comment faire pour réussir cette transition vers le moins et mieux ?

État des lieux d’une filière au carrefour d’enjeux écologiques et sociaux

Une empreinte écologique qui pèse lourd…

Si la production animale ne fournit que 37% de nos protéines et 18% de nos calories (1), elle est au cœur d’enjeux environnementaux cruciaux :

  • Elle compte pour 14,5 % des émissions mondiales de GES hors déforestation ;
  • Elle représente 70% des émissions agricoles si l’on ne considère que l’élevage (hors émissions liées aux cultures consacrées à l’alimentation animale) ;
  • Elle mobilise environ 83% des terres arables dans le monde ;
  • Elle est responsable de plus de 80% de la déforestation de la forêt amazonienne (création de zones de pâturage pour les ruminants et production de l’alimentation animale, notamment soja).
  • En matière de biodiversité, les impacts sont très divers selon les systèmes, les productions et les modèles. Si une grande partie de l'élevage allaitant français est aujourd’hui garant du maintien des prairies riches en biodiversité, d’autres produits animaux sont dépendants d’une production d’alimentation animale extrêmement polluante, dont l’importation de soja d'Amérique du Sud qui contribue massivement à la déforestation.
  • Dans le monde, l’intensification des méthodes d’élevage n’est pas non plus sans lien avec le développement des zoonoses et de leur propagation (2).

Enfin, émergent dans la société des questions relatives au bien-être animal, avec une demande sociétale forte que celui-ci soit garanti à toutes les étapes de la production (de la naissance à l’abattage).

La filière élevage bovin viande française en pleine crise économique

Le cheptel et la demande de produits carnés diminuent légèrement depuis une vingtaine d’années en France. Cette baisse de la consommation concerne surtout les viandes bovines et porcines (environ -14 % entre 1998 et 2018), alors qu’elle a augmenté pour la volaille (+22,7 % entre 1998 et 2018).

Cette situation est aujourd’hui subie par les éleveurs de bovins en France et s’accompagne d’un prix payé au producteur insuffisant. Ces derniers vivent actuellement une réalité économique et sociale très dure, avec de nombreux départs à la retraite non-remplacés (un sur deux environ), et des conditions climatiques de plus en plus difficiles. Dans ce contexte, les perspectives manquent, et l’accompagnement par les pouvoirs publics fait défaut, en l’absence de cap, ou de moyens pour sortir l’élevage de ses ornières.

Une nécessite : aller vers le moins et mieux en réduisant la production et la consommation d’au moins 50%

Pour répondre aux problématiques écologiques et sociales, de plus en plus d’acteurs (autorités sanitaires, scientifiques, ONG, etc.) s’accordent à dire qu’il est urgent de diminuer fortement la production et la consommation de produits animaux (y compris porc et volaille) à travers le monde.

En France, la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) fixe pour objectif de diminuer de 46% les émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole français d’ici 2050 et de 19% d’ici 2030 (3).

Pour y arriver et en l’état actuel du consensus scientifique qui se dessine (4), la FNH se mobilise pour que les politiques publiques s’orientent vers une diminution d’au moins 50% de la production et de la consommation de produits animaux en France en 2050 par rapport à 2020.

Cette réduction serait aussi bénéfique en termes de santé publique, puisque la consommation de viande dépasse actuellement les recommandations, tandis que celle de légumineuses, fruits, et légumes, reste insuffisante (5). La végétalisation des assiettes permettrait ainsi un moins et mieux de protéines animales, et des assiettes plus diversifiées.

Ainsi la transition alimentaire devra viser :

  • La diminution d’au moins 50% de la consommation de produits animaux issus d’élevages non durables ;
  • L’orientation de la demande vers des produits issus d’élevages durables et au plus territorialisés possibles, en fonction des contraintes pédoclimatiques ;
  • L’augmentation des apports en protéines végétales (légumineuses, fruits à coque, céréales complètes, etc.) et la consommation de fruits et légumes, issus de modes de production durables et territorialisés ;
  • L’orientation de la consommation vers des produits bruts ou faiblement transformés, privilégiant la qualité nutritionnelle et sanitaire des aliments.

Tout cela nécessite de :

  • Enclencher une trajectoire de réduction de consommation de produits animaux et de réduction des tailles de cheptel ;
  • Accompagner le développement d’une production à haute qualité environnementale - bénéfique pour le climat, la biodiversité, le bien-être animal - et rémunératrice pour les éleveurs.

Comment gérer la réduction de la production de produits animaux ?

Cette diminution du cheptel doit prioritairement concerner les productions les plus intensives, en raison de leurs multiples impacts négatifs économiques et sociaux ainsi que sur l’environnement, le bien-être animal et la santé publique. Elles se caractérisent par les élevages ayant les plus fortes densités, le plus grand nombre d’animaux et une alimentation provenant en grande partie d’importations (notamment le soja d’Amérique du Sud). Pour les ruminants et les granivores (qui se nourrissent le plus souvent de grains), ce sont aussi les élevages qui ne garantissent pas, ou insuffisamment, l’accès à l’extérieur aux animaux.

Cette diminution doit également se faire dans le cadre d’une déspécialisation des régions agricoles françaises en veillant prioritairement à désintensifier les régions où l’élevage est le plus concentré.

Pourquoi accompagner le développement d’un élevage de qualité et rémunérateur ?

La perspective de diminution de production et de consommation doit constituer une opportunité pour les filières d’élevages de se tourner vers des productions de qualité, à haute valeur ajoutée, rémunératrices pour les agriculteurs.

Le maintien d’un élevage durable sur le territoire français est possible, en privilégiant des systèmes autonomes pour l’alimentation des animaux, en permettant le maintien des prairies permanentes, et en répondant aux nouvelles attentes en matière de bien-être des animaux. Ainsi, ces élevages doivent :

  • garantir un maximum de rations journalières de pâturages pour les ruminants, avec le plus possible d’accès à l’extérieur pour les animaux et une faible densité de ceux-ci.
  • valoriser les races rustiques, plus adaptées aux territoires et résilients face aux aléas climatiques. L’élevage de ruminants de races mixtes (produisant lait et viande) est à favoriser car il permet de diversifier les revenus et d’optimiser l’utilisation de la ressource en herbe.

Les bénéfices socioéconomiques du “moins et mieux”

  • Davantage de revenus pour les éleveurs : en France, les produits animaux issus des élevages les plus intensifs sont souvent très exposés à la concurrence internationale. Les éleveurs sont souvent démunis dans le cadre des négociations commerciales. Une montée en gamme de la production pourrait offrir aux éleveurs davantage de revenus si les pouvoirs publics les accompagnent en ce sens. Les élevages herbagers durables sont déjà plus résilients économiquement et socialement face aux crises et dégagent davantage de revenus (6).
  • L'amélioration de la balance commerciale : la balance commerciale agricole est actuellement déficitaire (si l’on exclut le vin et les spiritueux). Rééquilibrer les importations et les exportations en tournant la production vers une demande française en évolution pourrait changer la donne. Par exemple, cela permettrait de mettre fin aux 4 milliards de tonnes de soja importés chaque année et à l’importation de 50% des fruits et légumes que nous consommons (7).
  • C'est une réponse aux attentes de la société civile et des citoyens en termes de bien-être animal, notamment en sortant des élevages ne garantissant aucun accès à l’extérieur aux animaux (ce qui est actuellement le cas pour environ 95 % des porcs et 75 %-80 % des volailles).

Note

Moins et mieux : un élevage et une consommation de produits animaux respectueux de la planète

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Nos propositions pour y arriver 

  • La lutte contre la concurrence déloyale grâce à la mise en place d’un règlement européen basé sur les mesures-miroirs. Le concept : interdire l’importation de viande produite avec des pratiques d’élevage et des substances bannies en Europe. (8);
  • L’accompagnement des éleveurs dans la transformation de leur système de production associé à une diminution globale du cheptel. Cette transformation concerne : la recherche d’autonomie pour l’alimentation des animaux, le maintien et le développement des prairies permanentes et des infrastructures ; agroécologiques (haies, arbres, etc.) et la forte diminution de l’utilisation des intrants de synthèse (engrais azotés et pesticides) ;
  • L’accompagnement d'une production de légumineuses durables dans les territoires, à la fois pour l’alimentation des animaux et des humains ;
  • L’accompagnement de l’évolution des habitudes alimentaires, incluant la diminution de la consommation de produits animaux (viande rouge, volaille, lait, fromage, yaourt, œufs, etc.), l’augmentation de produits de meilleure qualité pour la santé et l’environnement, l’accessibilité à une alimentation saine et durable pour l’ensemble de la population (en particulier, consommation de fruits, légumes, légumineuses).

Sources

(1) Poore J. et Nemecek T., “Reducing food environmental impacts through producteurs and consumers”, juin 2018

(2) FNH, “Comment réorienter et relocaliser notre agriculture et alimentation vers un modèle résilient et durable ?”, mai 2020

(3) Stratégie nationale bas carbone, avril 2020

(4) En 2021, l’ADEME a missionné plusieurs chercheurs pour comparer 16 scénarios de transition existants, identifier les points communs et les éléments de divergence entre ces travaux. Dans les convergences, il est noté que 12 scénarios sur 16 s’appuient sur des diminutions significatives de la consommation de protéines animales et que la réduction des cheptels concerne 13 scénarios sur 16. Les auteurs en concluent : « ces éléments tracent, en cohérence avec la littérature scientifique, une voie très claire vers la réduction de la consommation de protéines animales et des cheptels »

(5) Les recommandations du PNNS sont de consommer maximum 500g de viande hors volaille par semaine, 5 fruits et légumes par jour, une poignée de fruits à coque chaque jour et des légumineuses au moins deux fois par semaine. Un tiers des Français est au-dessus de la limite des 500g et 80% des Français ne consomment pas suffisamment de fibres. Source : La Fabrique écologique.

(6) Par exemple, selon le Civam, les élevages laitiers durables du Grand Ouest ont un résultat par actif supérieur de 66% par rapport à la moyenne des élevages laitiers sur le même territoire. Par ailleurs, la dépendance des élevages tournés vers l’exportation les rend extrêmement tributaires des fluctuations des cours mondiaux. Au contraire, les élevages plus durables subissent moins l’impact de la volatilité des prix des marchés mondiaux car ils sont moins dépendants des importations d’intrants (notamment l’alimentation animale) et des prix de vente sur le marché international. Dans le cas des élevages laitiers du Grand Ouest, là où le prix du lait peut varier d’une année sur l’autre de -19% à +13%, le résultat varie de -60% à +145% pour les élevages conventionnels, en moyenne, tandis qu’il ne varie que de -34% à +55% pour les élevages durables.

(7) La face cachée de nos consommations alimentaires, Solagro, 2022.

(8) Plus concrètement : l'interdiction de produits issus d’animaux traités avec des produits vétérinaires ou nourris avec des aliments non autorisés par la réglementation européenne ou ne respectant pas les exigences d'identification et de traçabilité. Ainsi que l'’interdiction de produits issus d’animaux dont il n’est pas attesté qu’ils ont bénéficié de certaines conditions minimales en matière de bien-être animal, concernant le temps de transport notamment. Pour garantir l’effectivité de ces mesures, il est nécessaire de prévoir le renforcement des contrôles dans les principaux pays exportateurs et la mise en place de procédures de suspension.

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