Décryptage

L’objectif zéro artificialisation nette en danger

Publié le 08 mars 2023 , mis à jour le 14 septembre 2023

Zéro artificialisation nette (ZAN) est un objectif fixé pour 2050, inscrit dans la loi Climat et Résilience d’août 2021. Il vise à réduire progressivement le rythme auquel l’urbanisation détruit les terres. Depuis l’an dernier, il incombe ainsi aux communes, aux départements et aux régions de le mettre en place en commençant par diviser par 2 le rythme de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2031 (par rapport à la consommation mesurée entre 2011 et 2021). Mais sur le terrain, cette avancée majeure soutenue par la Fondation pour la Nature et l'Homme, ne fait pas l’unanimité et le chemin pour l’atteindre est semé d’embuches… Décryptage.

En ce début d’année 2023, l’objectif Zéro Artificialisation Nette (ou ZAN) fait l’objet de deux propositions de loi déposées au Parlement. Une première proposition de loi issue du Sénat remet profondément en cause l’objectif ZAN, tandis qu’une seconde, émise par l’Assemblée nationale, se concentre sur quelques mesures liées à sa mise en œuvre. La FNH se mobilise pour que l’examen de ces propositions de loi aboutisse non pas à son détricotage, mais permette au contraire de protéger et réaffirmer les ambitions du ZAN. Pour y parvenir, nous formulons des propositions pour doter les acteurs des bons outils pour relever ce défi essentiel, sans laisser personne de côté.

Comprendre l’objectif zéro artificialisation nette 

Le ZAN est une politique qui vise à réduire progressivement le rythme auquel l’urbanisation détruit les sols afin d’atteindre, en 2050, un équilibre entre les surfaces artificialisées et les surfaces renaturées : le zéro artificialisation nette. Elle s’inscrit dans la continuité des politiques publiques mise en œuvre depuis une vingtaines d’années afin de réduire l’artificialisation, avec la volonté d’amplifier les efforts pour répondre à l’urgence climatique. Au cours des dix dernières années, le rythme du phénomène est progressivement passé d’environ 31 000 ha par an en 2011 à 21 000 ha en 2021, soit une baisse d’un tiers, malgré un rebond en 2021.

Pour aller plus loin, le ZAN dessine pour les collectivités une action en trois temps :

  1. Diviser par deux le rythme d’artificialisation entre 2021 à 2031 : alors que la France a consommé environ 240 000 hectares de terres agricoles, naturelles et forestières pour l’urbanisation entre 2011 et 2021, la loi vise la consommation de 120 000 hectares maximum entre 2021 et 2031.
  2. La définition de nouveaux objectifs de réduction pour la seconde période (2031-2041)
  3. Puis une dernière tranche d’objectifs pour la période 2041-2050 afin d’arriver au fameux « zéro artificialisation nette » en 2050.

Il ne s’agit donc pas d’empêcher du jour au lendemain les nouvelles constructions, mais bien de planifier la fin progressive de l’étalement urbain, en cohérence avec les politiques publiques développées au cours des deux dernières décennies, et dans un calendrier compatible avec l’objectif de neutralité carbone en 2050.

QUELQUES REPÈRES LÉGISLATIFS - Le ZAN est devenu légalement contraignant grâce à la loi Climat et Résilience d’août 2021, issue des travaux de la Convention citoyenne pour le Climat. Son principe n’est néanmoins pas nouveau puisqu’il était déjà inscrit en 2011 dans la « Feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation des ressources » de la Commission européenne, puis repris dans le Plan Biodiversité du Gouvernement français en 2018. En outre, la loi SRU de 2000 comprenait déjà des dispositions visant à promouvoir l’utilisation économe des sols, tandis que la loi Grenelle II a introduit en 2010 les notions de « consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers » et de « modération de la consommation de l’espace ».

Quels sont les risques qui pèsent sur l’objectif Zéro artificialisation nette ?

Après une première proposition de loi déposée l’été dernier visant à repousser d’un an les délais d’application de l’objectif ZAN, le Sénat a déposé en décembre une nouvelle proposition plus dense, examinée le 14 mars 2023. Si cette proposition indique qu’elle vise à « faciliter la mise en œuvre des objectifs de ZAN » et affirme que « l’importance et la légitimité [des objectifs ZAN] sont unanimement partagés », la lecture des articles de loi proposés, fait au contraire craindre un fort recul sur l’ambition de protection des sols. Pourquoi ? Voici quelques exemples.

Le Sénat propose que les objectifs de réduction de l’artificialisation inscrits au titre du ZAN au niveau régional ne soient plus obligatoires pour les collectivités : les objectifs ZAN ne seraient ainsi pas strictement opposables aux collectivités locales mais celles-ci devraient simplement les « prendre en compte ». En supprimant le caractère obligatoire de l’objectif, il semble assez irréaliste d’envisager l’atteinte du ZAN en 2050, pourtant nécessaire à l’atteinte de la neutralité carbone.

Les sénateurs proposent de multiples dérogations sur la comptabilisation des consommations d’Espaces Naturels Agricoles ou Forestiers (ENAF): cela contribuerait à casser le thermomètre qui permet de suivre la mise en œuvre de la politique de sobriété foncière. Par exemple : 

    • Ne pas comptabiliser les consommations d’espaces dues aux projets dits « d’envergure nationale ou européenne ». Ce qui reviendrait à sortir toute une série de projets du décompte régional (par exemple des projets d’infrastructures et des installations industrielles), pour les imputer à un compte national d’artificialisation : exit donc l’objectif de diviser par deux les consommations d’ENAF à l’échelle de chaque région. Plutôt que des dérogations, il faut organiser des solidarités territoriales pour répartir l’artificialisation liée aux grands projets indispensables à la transition écologique sur les quotas de tous les territoires qui en bénéficient – pas seulement les territoires d’implantation.
    • Ne plus compter les pelouses résidentielles, industrielles et tertiaires comme des espaces artificialisés, et permettre la définition sur ces espaces de « périmètres de densification » au sein desquels les constructions ne seraient plus considérées comme de l’artificialisation Là encore, on casse le thermomètre tout en rajoutant une couche de complexité… dans un texte visant à « faciliter la mise en œuvre du ZAN. 
    • Compter les espaces littoraux « perdus à la mer » à cause du changement climatique comme de la renaturation, ouvrant donc un nouveau un droit d’artificialiser une surface équivalente pour relocaliser les logements ou activités concernées… tout en ne comptabilisant pas dans l’artificialisation les aménagements de relocalisation.

Certaines propositions de la PPL du Sénat sont néanmoins positives, comme celle concernant le droit de préemption ZAN ou celle visant à instaurer un sursis à statuer ZAN. Il s’agirait concrètement de donner aux maires la possibilité de refuser de délivrer un permis de construire sur une zone classée « à urbaniser », pour respecter les objectifs de réduction de consommation d’espaces, et en attendant que la prochaine révision des documents d’urbanisme permette de rendre inconstructible la zone considérée.  

Les propositions de la FNH pour répondre aux problématiques des élus locaux, tout en restant ambitieux pour la biodiversité

  • La mise en place d’un gradient d’artificialisation des espaces. A partir de la seconde période du ZAN (2031-2041), il est prévu de suivre l’artificialisation grâce à une classification des types de surfaces, appelée "nomenclature de l’artificialisation des sols », en complément du suivi de la consommation d’ENAF. Schématiquement, la consommation d’ENAF est une mesure de l’étalement urbain, tandis que cette nouvelle nomenclature vise à suivre l’artificialisation telle que définie dans la loi Climat et résilience, à savoir l’altération durable des fonctions écologiques des sols.
    Cette nomenclature fait actuellement l’objet de nombreux débats, notamment pour savoir s’il faut classer les pelouses des zones résidentielles, industrielles et tertiaires du côté des surfaces artificialisées, ou du côté des surfaces non artificialisées. Dit autrement, s’il faut considérer une pelouse rase comme aussi pauvre du point de vue écologique qu’un parking, ou aussi riche qu’un espace naturel boisé. Pour la FNH, cette classification binaire est problématique, à la fois pour répartir les différents types de surfaces d’un côté ou de l’autre de la barrière, mais aussi pour organiser les mécanismes de compensation induits par l’objectif de « zéro artificialisation nette ».
    Nous proposons ainsi la mise en place d’un gradient d'artificialisation. Ce coefficient d’artificialisation allant de 0 (absence d’artificialisation) à 1 (surface entièrement artificialisée), permettrait de classer de manière simple, fine et cohérente les différentes catégories de sols, en valorisant par exemple davantage une pelouse urbaine (ex : 0,4) qu’un parking bitumé (ex : 1), mais moins qu’un espace naturel, agricole ou forestier (ex : 0). Il suffirait d’attribuer des coefficients appropriés à chacune des catégories aujourd’hui identifiées dans la nomenclature de l’artificialisation des sols.  
  • L'intégration des mesures de biodiversité des sols dans le suivi de l’artificialisation. La classification des surfaces entre artificialisé et non artificialisé, n’est aujourd’hui réalisée que sur la base de la couverture et de l’usage du sol, alors que la définition de l’artificialisation s’intéresse aux fonctions écologiques de celui-ci. Nous proposons donc d’améliorer le suivi de l’artificialisation en y intégrant des informations concernant la biodiversité des sols, issues de mesures de terrain. En utilisant le gradient d’artificialisation, la couverture et l’usage du sol constitueraient la base du coefficient d’artificialisation attribué à une surface (par exemple 0,6) lequel serait modulé à la hausse ou à la baisse en fonction des données de terrain sur la biodiversité du sol.

Rapport

Je découvre les propositions

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  • Pérenniser et accroître les financements pour la mise en œuvre du ZAN à destination des collectivités, via le Fonds Vert lancé en 2022 : augmenter les crédits disponibles pour la renaturation des villes, le recyclage foncier et la conception des projets (ingénierie), et créer une enveloppe dédiée à l’accompagnement social des ménages modestes vers la sobriété foncière (ex : rénovation du bâti dégradé) .
    Les objectifs ZAN exigent de transformer les modèles d’aménagement du territoire : il est donc indispensable que les collectivités territoriales disposent d’un accompagnement à la mesure de leurs moyens respectifs, afin d’assurer une transition juste.

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