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Le cas du cadmium : un métal toxique présent dans notre alimentation
Le cadmium est un métal lourd. Et même s’il y a quelques jours encore son nom vous était inconnu, il est bien présent... dans nos assiettes. Céréales, pommes de terre, légumes, chocolat : 80 % du cadmium que nous accumulons tout au long de notre vie provient de notre alimentation. Il s’y retrouve par le biais des engrais phosphatés, utilisés massivement dans l’agriculture, particulièrement dans les systèmes intensifs.
« Le cadmium est naturellement présent dans les sols, mais son accumulation dans les plantes est amplifiée par les fertilisants phosphatés », explique Olivier Laprévote.
C’est un problème connu depuis longtemps. Dès 2011, l’agence française de sécurité sanitaire alertait sur les risques liés à ce métal. Et en 2019, elle recommandait déjà d’abaisser son seuil dans les engrais. Mais rien n’a changé au niveau européen.
« Nous sommes maintenant en 2025 et la norme européenne n'a pas bougé. L'avis de l’Anses était fondé, comme on le fait dans cette agence, essentiellement sur l’avis des scientifiques. Donc non seulement les scientifiques eux-mêmes ne sont pas forcément très écoutés, mais en plus l'agence qui consulte les scientifiques pour émettre ses avis ne rencontre pas un écho aussi large qu’on pourrait le souhaiter » regrette Olivier Laprévote.
Le problème du cadmium : une contamination invisible mais progressive
Contrairement à une intoxication brutale, le cadmium agit en silence. « On élimine le cadmium beaucoup plus lentement qu'on ne l'absorbe, et on l'accumule » précise Olivier Laprévote.
Et ses effets, eux, se font sentir... bien plus tard.
« On parle d’un risque qui s’apparente à la montée du niveau des mers : il est inévitable, progressif, et ses effets apparaîtront à long terme, notamment chez les personnes âgées. »
Insuffisance rénale, ostéoporose, maladies cardiovasculaires : ces pathologies sont aggravées par une accumulation chronique de cadmium. Et les enfants sont particulièrement à risque. En 2016, près d’un tiers des moins de 3 ans avaient déjà dépassé le seuil tolérable. « Donc si on prend un enfant de 3 ans en 2016, c'est un enfant qui a 12 ans aujourd'hui. On se projette sur des pathologies qu’il aura potentiellement dans 50 ou 60 ans ».
Le parallèle avec les pesticides : des alertes ignorées
Dans le même temps, le Parlement s’apprête à voter la loi Duplomb, qui pourrait réintroduire des pesticides néonicotinoïdes, pourtant reconnus comme extrêmement nocifs pour les pollinisateurs, la biodiversité et même la santé humaine.
Le point commun entre le cadmium et les pesticides, c’est que les alertes scientifiques sont connues. « Et pourtant, elles ne sont pas entendues… » nous explique le toxicologue.
Les pesticides, comme le cadmium, posent des questions de modèle agricole. Concernant l’usage des pesticides de synthèse, des plans ambitieux avaient été lancés pour réduire l’usage des pesticides dans les années 2010. Pourtant, leur consommation a augmenté, en totale contradiction avec les engagements pris.
Une culture scientifique absente des décisions politiques
Pourquoi les alertes ne sont-elles pas suivies d’effets ? Pour Olivier Laprévote, c’est un problème de culture scientifique chez les décideurs.
« Je pense que la culture scientifique n'est pas assez représentée dans les instances de décision politique. Or s’agissant de pesticides, de la contamination des aliments, de l'élevage, des pratiques agricoles, si on ne met pas la préoccupation sanitaire dès le départ, on risque de prendre de très mauvaises décisions. Et je pense qu'un certain nombre des aspects de la loi (Duplomb) qui est proposée au vote ne sont pas du tout rassurants sur ces différents points », résume-t-il.
L’agence française de sécurité sanitaire (ANSES), qui base ses avis sur les travaux de scientifiques n’est pas écoutée comme elle devrait l’être. Résultat : des lois sont votées sans véritable prise en compte des risques sanitaires à long terme.
Le bio, un levier de réduction…
Le bio est souvent cité comme un rempart face à ces substances toxiques. Et les données disponibles vont dans ce sens.
« Une méta-analyse de 2014 montre que les légumes issus de l’agriculture biologique contiennent deux fois moins de cadmium que ceux de l’agriculture conventionnelle. » explique le scientifique.
Pourquoi ? Si l’on retrouve du cadmium en agriculture biologique parce qu'on ne peut pas faire autrement, le phosphate étant dans le sol, et le cadmium aussi, les doses sont bien moindres. En cause : moins de recours aux engrais minéraux, plus de compost, d’humus, de fertilisants organiques.
Ce que demandent les scientifiques : mesurer pour décider
Le message que Olivier Laprévote souhaiterait adresser aux parlementaires est clair, il en va des pesticides, comme du cadmium : avant de prendre des décisions, il faut d’abord mesurer. Sinon, on décidera à l’aveugle.
«Il est impératif d'identifier, de quantifier de façon systématique toute substance qui est susceptible d'avoir des effets sur la santé humaine de façon extrêmement suivie, extrêmement précise, et depuis la fabrication des produits eux-mêmes , in fine, ce que l'on va retrouver dans le corps humain : chez les enfants, chez les nouveau-nés, dans les aliments bien entendu, chez les agriculteurs, qui sont souvent les premières victimes de ces expositions. Si on ne mesure pas, on ne saura jamais on prendra des décisions épouvantables. » martèle-t-il.
Il ne s’agit pas d’interdire pour interdire, mais de fonder les décisions sur des données fiables et actualisées, en tenant compte de la santé publique.
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