Défendre une agriculture sans pesticides

Crise agricole : pourquoi est-il urgent de mettre en place des mesures miroirs ?

Publié le 23 février 2024 , mis à jour le 15 mars 2024

Alors que Gabriel Attal a récemment déclaré vouloir « des mesures miroirs partout », la Fondation pour la Nature et l’Homme, INTERBEV et l’Institut Veblen publient un nouveau rapport sur le sujet. Objectif : démontrer en quoi l’application effective de mesures miroirs est clé pour mettre en cohérence la politique commerciale de l’UE avec ses objectifs environnementaux et sanitaires.  Les trois organisations entendent faire porter cette nécessité aux candidats aux élections européennes pour l’inscrire dans l’agenda du prochain cycle européen...

Pourquoi est-il urgent de mettre en place des mesures miroirs ?

Un rapport réalisé en collaboration avec l'Institut Veblen et INTERBEV

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Enseignement clé du rapport : les mesures miroirs, une condition pour répondre à la fois à la crise agricole et à l’urgence écologique

Dans leur rapport, les trois organisations rappellent que l’application de mesures miroirs répond au besoin de mise en cohérence de la politique commerciale européenne avec les politiques agricoles et environnementales. En effet, l’absence de mesures de réciprocité expose certaines filières agricoles françaises et européennes à une concurrence déloyale et les consommateurs à des risques sanitaires. Une incohérence qui aggrave la situation de certains agriculteurs, déjà en détresse économique et qui fait l’impasse sur les impacts environnementaux subis dans les pays tiers.

La multiplication des accords de commerce établis ces dernières années comme le CETA avec le Canada ou le récent accord avec la Nouvelle-Zélande accentue encore cette concurrence déloyale. En effet, ces accords facilitent l’entrée sur le marché de denrées agricoles produites selon des normes environnementales ou sanitaires moins exigeantes qu’en Europe. Une tendance qui devrait encore se renforcer à mesure que de nouveaux accords sont signés, comme avec le Chili ou le Mexique ou encore en cours de négociation avec les pays du Mercosur ou l’Australie.

Ainsi, la mise en place de mesures miroirs apporterait une partie de la réponse à la crise agricole et à l’urgence écologique à l’échelle européenne :

  • En évitant une concurrence déloyale et un abaissement des prix, du fait de normes de production moins exigeantes pour une partie de nos importations.
  • En contribuant à l'accomplissement des objectifs du Pacte vert européen. Par exemple, en mettant fin à l’importation de denrées issues de cultures traitées avec des substances interdites par la réglementation européenne.

Mais aussi à l’échelle des pays tiers qui commercent avec l’UE :

  • En permettant d'atténuer les impacts de la consommation européenne liés aux pratiques agricoles non durables des pays-tiers en améliorant leurs normes de production, entre autres grâce à des programmes européens de développement.

A l’échelle internationale, ces mesures conduiraient à l'adoption de normes plus ambitieuses et contraignantes, en particulier pour la mise en œuvre de l’Accord de Paris ou le Cadre Mondial de Kunming-Montréal.

Des études de cas qui mettent en lumière la différence de pratiques entre les producteurs européens et ceux des pays-tiers

En complément du rapport, 5 études de cas ont été réalisées sur la viande bovine, la viande ovine, le soja, la noisette et le riz. Elles apportent des éclairages édifiants sur les impacts des différences de pratiques sur l’environnement, le sanitaire et le bien-être animal, ainsi que sur la distorsion de concurrence subie par les filières européennes en raison de certaines de ces divergences réglementaires entre l’Union européenne et des pays tiers.

Quelques éléments clés à retenir :

  • Concernant les élevages de bovins, l’utilisation d’antibiotiques promoteurs de croissance est encore autorisée dans les pays tiers, notamment ceux du Mercosur. Cette pratique est interdite en UE depuis 2006 alors que l’importation de viande issue d’élevage où ils sont utilisés est toujours permise.
  • La réglementation européenne prévoit la traçabilité individuelle des animaux tout au long de leur vie, notamment depuis les récentes crises sanitaires comme celle de la vache folle. Cette obligation n’existe pas dans la majorité des pays tiers.
  • On estime que, pour la filière bovine, le seul respect de la réglementation environnementale et sanitaire européenne génère un surcoût de production entre 3 et 8% par rapport au pays tiers.
  • Alors que le nombre d’intrants disponibles pour les producteurs européens tend à baisser, il n’en est pas de même dans les pays tiers. Par exemple, plus de la moitié des herbicides utilisés pour produire le riz indien ne sont pas autorisés dans l’UE, et parmi eux, certains sont interdits de longue date. C’est le cas par exemple du Paraquat, interdit en 2007 au sein de l’UE en raison du lien établi entre l’exposition à cette substance et des cas de maladie de Parkinson.
  • La dépendance de l’UE aux importations sur certains produits est le résultat de plusieurs décennies de libéralisation commerciale. L’exemple le plus marquant restant le soja, pour lequel les droits de douane européens ont été supprimés en 1962. Aujourd’hui, plus de 90 % du soja cultivé au Brésil ou aux Etats-Unis est OGM, et ces deux pays sont les principaux fournisseurs de fèves de soja de l’UE. Pourtant, la culture de soja OGM n’est pas autorisée en Europe mais il reste toutefois possible d’en importer, notamment pour nourrir le bétail européen. Le recours à ces cultures OGM est associé à un usage accru de pesticides, qui sont parfois même épandus par avion. Au Brésil, 200 substances sont utilisables sur le soja, dont moins de la moitié sont autorisées dans l’Union européenne.
Etude de cas sur la différence de pratiques entre le boeuf européen et le boeuf de pays tiers
Etude de cas sur le boeuf

Les Européennes, un moment clé pour se saisir de la question

Les 3 organisations appellent à ce que le prochain mandat européen soit celui de la concrétisation de la mise en place pérenne de mesures miroirs. L’objectif ? systématiser leur intégration dans les textes européens, et ainsi permettre aux agriculteurs et éleveurs de produire durablement sans subir de concurrence déloyale, en conformité avec les objectifs du Pacte vert européen. A défaut, les futurs députés européens doivent adopter le réflexe mesures miroirs lors de l’élaboration des futurs textes, notamment en matière d’agriculture ou d’environnement pour répondre à plusieurs enjeux.

Sur l’élevage, le bien-être animal et les conditions sanitaires :

  • Interdire l’importation de produits issus d’élevage où les animaux sont traités avec des antibiotiques promoteurs de croissance ;
  • Interdire l’importation de produits issus d’élevage où les animaux sont nourris avec une alimentation interdite en UE (notamment les farines animales) ou qui participe à la déforestation ;
  • Exiger le respect de normes au moins équivalentes aux normes européennes pour les filières animales des pays tiers en matière notamment de condition d'élevage, de transport ou de traçabilité.

Sur l’utilisation de pesticides et d’OGM :

  • Arrêter d’octroyer des tolérances à l’importation sur les résidus de pesticides afin de faciliter l’importation de denrées agricoles, notamment OGM.
  • Empêcher l’import de denrées agricoles traitées avec des pesticides interdits au sein de l’UE ;
  • Interdire l’exportation de pesticides interdits d’utilisation au sein de l’UE vers les pays tiers ;

Les acteurs économiques doivent également être mobilisés pour s’assurer du respect de ces mesures miroirs, en complément des pouvoirs publics, aussi bien en Europe que dans les pays tiers.

Le prochain mandat européen doit enfin être synonyme de mise en cohérence de la politique commerciale de l’Union avec l’adoption et l’application de mesures miroirs dans les textes européens et respecter les engagements de l’accord de Paris pour le climat et le cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal. L’objectif étant de garantir que les accords de commerce dont l’UE est signataire :

  • Intègrent les enjeux de durabilité en conditionnant les échanges au respect de normes essentielles en matière sanitaire, environnementale ou de bien-être animal.
  • Ciblent de façon plus précise les biens dont les échanges doivent être promus ou au contraire découragés.

Dès lors, l’UE et les Etats membres doivent s’engager à refuser tout accord qui ne serait pas aligné sur ces critères minimaux.

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