Décryptage

Loi Climat : un vote qui scelle une écologie du sur-place

Publié le 04 mai 2021 , mis à jour le 22 juillet 2021

Alors que la France a été condamnée pour inaction climatique par la justice, notamment dans le cadre de l’Affaire du Siècle, et qu’à travers le monde les effets du dérèglement climatique se multiplient, sénateurs et députés ont choisi de voter une loi qui ne changera rien, ou presque, au retard accumulé par la France dans la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. Malgré un exercice démocratique innovant, cette loi représente une opportunité manquée pour le climat. Désormais, cette loi contraint le ou la prochain(e) président(e) de la République à démultiplier les efforts pour relever le défi climatique...

Aucune mesure structurante pour enrayer la crise climatique

Si Emmanuel Macron s’était engagé à reprendre les 149 mesures des citoyens sans filtre, la promesse est loin d’être tenue : la plupart des mesures ont été soit complètement supprimées, comme les conditionnalités en retour des aides aux grandes entreprises, soit vidées de leur substance comme la régulation de la publicité. Cette dernière mesure devait interdire la publicité sur les produits les plus polluants et finalement cette interdiction ne touchera que la publicité concernant l’exploitation d’énergies fossiles. Problème : très peu d’annonces publicitaires sont faites sur ce sujet aujourd’hui et cette interdiction restera donc anecdotique...  

De plus, 20 mois après le lancement de la convention citoyenne on constate l’absence de mesures structurantes dans les secteurs les plus émetteurs. Ainsi, la fin de vente des véhicules diesel et essence en 2030 n’a pas été approuvée, tout comme l’obligation de rénover les bâtiments les plus énergivores ou encore l’imposition d’une taxe sur les engrais azotés. 

La France, encore loin d’être exemplaire dans la rénovation des bâtiments

La convention citoyenne demandait une obligation de rénovation énergétique pour tous les logements énergivores d’ici 2024. Néanmoins, la loi Climat a uniquement retenu une obligation pour les propriétaires bailleurs et la fin progressive de leur permis de louer des passoires thermiques en 2025, puis 2028. Problème : seulement la moitié des passoires thermiques sont concernées...

On peut néanmoins noter quelques mesures qui vont dans le bon sens. Ainsi, à partir de 2023, les restaurants collectifs sous la responsabilité de l’État (Crous, hôpitaux, prisons...) devront proposer une option végétarienne quotidienne. Cependant, il n’existe pas d’obligation pour les cantines scolaires gérées par les collectivités et un menu hebdomadaire végétarien sera mis en place à titre expérimental dans le cadre de la loi Egalim. D’autres petites avancées : l’élargissement de la prime à la conversion pour l’achat d’un vélo à assistance électrique en remplacement d’un vieux véhicule ou l’intégration des poids-lourds dans l’objectif de fin de vente des véhicules utilisant majoritairement des énergies fossiles en 2040.

Pour passer au crible les mesures proposées initialement par la Convention citoyenne et les mesures finalement adoptées par la loi, consultez la grille réalisée par le Réseau Action Climat (RAC):

Des débats parlementaires qui n’ont presque rien changé au texte proposé par le gouvernement

A l’Assemblée nationale un débat tronqué par la majorité

Si certains députés ont essayé de renforcer certaines mesures en ajoutant des amendements, ils se sont rapidement vu couper l’herbe sous le pied : 20 à 25 % des amendements déposés ont été jugés irrecevables, car jugés éloignés de la loi, et n’ont donc pas pu être débattus… Une atteinte au débat démocratique inquiétante, car l’irrecevabilité n’était pas justifiée : de nombreux sujets, comme le train par exemple, avaient un lien direct avec l’objet du texte...

Les grandes entreprises pourront continuer d’aggraver le réchauffement climatique

De nouvelles obligations pour maîtriser leur empreinte carbone et des conditions environnementales en échange des aides publiques accordées aux grandes entreprises, telle était la mesure proposée par les 150 et soutenue par la FNH. C’est l’une des mesures d’abord supprimée par le gouvernement et remise sur la table à nouveau par certains députés qui ont proposé des amendements à ce sujet. Des amendements jugés par la suite irrecevables à l’Assemblée nationale… mais pas au Sénat. Si le débat a pu avoir lieu avec les sénateurs, les propositions que nous défendions n’ont malheureusement pas été adoptées. Pourtant, avec leur modèle actuel, les entreprises du CAC40 nous emmènent vers une trajectoire à +3,5°C d’ici 2100, selon un rapport d’Oxfam...

Au Sénat : quelques améliorations sur le train, dont certaines annulées ensuite par les députés

Le Sénat n’a pas significativement fait évoluer le texte si ce n’est sur le train, sujet quasi-absent du premier texte présenté par le gouvernement. Les sénateurs ont voté l’obligation de mettre en cohérence les investissements dans le transport ferroviaire avec les objectifs climatiques de la France (fixés dans la Stratégie nationale bas carbone). Par ailleurs, les sénateurs ont voté l’abaissement de la TVA à 5,5% sur le train, mais cette mesure a été supprimée lors de la Commission Mixte paritaire (CMP)… Le Sénat a aussi essayé d’affaiblir davantage le texte en votant des dispositions qui auraient bloqué le développement des énergies renouvelables. Ces amendements ont heureusement été abandonné lors de la CMP.

Et maintenant ? Rendez-vous au Conseil d’État en avril 2022

Le Conseil d’État vient d’ordonner au gouvernement de mettre en place toutes mesures utiles pour respecter ses objectifs climatiques (-40% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030) sous 9 mois. Comment le gouvernement va-t-il s’y prendre alors qu’il a été largement reconnu par différentes instances que cette loi ne permettra pas à la France de respecter cet objectif ? A suivre…

Climat : l’État condamné à agir avant avril 2022

Parallèlement, d’ici avril 2022, le jugement de l’Affaire du Siècle devrait avoir lieu. Si le tribunal administratif donnait raison aux organisations requérantes, il pourrait compléter la demande du Conseil d’Etat, et ordonner d’appliquer les mesures concrètes proposées par l’Affaire du Siècle pour remettre la France dans la bonne trajectoire.

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